Le Petit Lulu

Le lycée de Vilgénis était jusqu'à aujourd'hui bien tranquille, sauf
des incidents assez graves de droit commun (bagarres entre bandes à
l'intérieur du lycée).
Mais ce matin les deux grilles d'accès (entrée principale et entrée
cantine) étaient bloquées dès 7 heures par des jeunes gens qui
formaient une chaîne très serrée sur toute la largeur de chaque
portail. Des slogans hostiles au CPE tracés à la bombe aérosol sur des
vieux draps avaient été accrochés au grillage. Ces piquets de grève
étaient apparemment formés de quelques étudiants et lycéens venus
d'ailleurs et de certains élèves de Vilgé. Un détachement de policiers
équipés de casques et de matraques( mais pas de boucliers ni de
jambières) stationnait au feu rouge qui se trouve au débouché de la rue
de Versailles.
Nul ne pouvait entrer ni sortir du lycée, ni élève, ni prof, ni
personnel de direction. Le parking devant l'entrée principale était
noir de monde, élèves et profs ( les profs un peu à l'écart), et dans
la rue du Dr Schaeffner la situation était à peu près la même. Dubois,
le Proviseur adjoint, était en contact avec deux policiers, l'un en
tenue, l'autre en bourgeois, et titillait son téléphone portable d'un
air important.
Les autobus devaient ralentir beaucoup pour se frayer un chemin sans
escarbigner quiconque. Une superbe décapotable (de marque allemande,
blanche, munie d'un klaxon délirant) est passée en manifestant
bruyamment que son chauffeur (un jeune aux allures de maquereau)
approuvait la situation insolite.Stéphane a grommelé quelque chose à
propos de "la fabrique de crétins", cependant que certains de ses
élèves de Prépa HEC insistaient pour l'entraîner dans une tentative de
rentrer en force pour avoir leur cours d'Eco.
Dominique Durin était très embêté parce que c'est aujourd'hui que doit
avoir lieu l'inauguration de la semaine "Résistance" pour laquelle il
s'est donné beaucoup de mal. Il espérait que la situation serait
meilleurs cette après-midi et  que la Proviseure maintiendrait la
séance d'inauguration à la Cafétéria: exposition des travaux d'élèves,
intervention de Lucie Aubrac et de la nièce de D'Estienne d'Orves, etc.
Je n'ai pas pu résister au désir de vous faire ce petit compte-rendu,
car je regrettais que vous ne fussiez point là (sauf Stéphane); cela
rappelait tant de choses du genre "C'est vrai, Sébastien, vous venez
avec nous?"
Vous pouvez écrire au journal, qui publiera vos courriers.
Bises de la Rédaction.

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